La place de l’enseignant dans un monde de MOOCs ?

Imaginons qu’il y ait un réel développement des MOOCs dans les prochaines années. Certains y voient l’imminence de la fin des universités. Je n’y crois pas. La question qui se pose aux universités est certainement de comment se réorganiser face à ces nouvelles ressources. En effet, si l’on pose les MOOCs comme ressource dans l’enseignement supérieur, un support de cours donc, par exemple pour fixer les idées comme un manuel numérique, la question devient alors de comment intégrer ces ressources dans les cursus de formation, et aussi de savoir si et pourquoi les étudiants continueront à passer du temps sur les campus.

Mais dans ça, puisque l’on parle de formation, se pose la question de ce que devient l’enseignant. Regardons de plus prêt quels seraient (seront ?) ses rôles dans un tel univers.

Premier rôle, le créateur de cours. Ce créateur de cours sera certainement un expert dans son domaine, mais il devra également développer ses capacités à diffuser son message. Acteur et pédagogue, les élèves voudront être passionnés et réussir leurs apprentissages. Cette création de cours sera assuré par quelques uns. Certains seront des vedettes, mais le numérique nous montre que la barrière ne sera pas technique, et qu’il sera possible à une personne de talent d’éditer son offre propre.

On entre en effet dans une nouvelle écologie de l’édition. Coursera, Udacity sont quelque part des éditeurs de cours, à la recherche de producteurs de cours en ligne que sont les enseignants (avec ou sans université porteuse de label). Pearson en tout cas est l’éditeur qui a pris le virage et cherche à se positionner sur ce créneau. On n’en est pas encore aux documents d’accompagnement car pour l’instant le MOOC se considère auto-suffisant, mais on a bien vu apparaître des compléments pour des livres, pourquoi pas pour les MOOCs ?

Second rôle, l’assistant sur la plate-forme du MOOC. C’est un peu l’équivalent de l’assistant de TD qui répond aux questions, guide l’étudiant dans son raisonnement, avec un mode d’interaction à revisiter, mais qui correspond aux modèles de tuteurs des plate-formes de e-learning. Notons quand même que certaines plate-formes de MOOC laissent penser que ce rôle pourrait être automatisé. Notons aussi que c’est un des axes sur lesquels les MOOCs devront s’améliorer si on veut voir le taux de réussite augmenter.

Troisième rôle, les heures d’accompagnement matière sur campus. Lien entre le cours en ligne et le campus, on peut imaginer des heures dédiées (sur le modèle des « office hours ») pour permettre aux étudiant(e)s de rester en contact avec des enseignants.

Quatrième rôle, le coaching/tutorat/accompagnement pour permettre aux étudiants d’aborder des projets, de construire leurs apprentissages par rapport à leurs besoins, pour provoquer des rencontres, des échanges, des opportunités. Bref pour permettre aux étudiants de passer de l’apprentissage de contenus à un ensemble de compétences. Ce rôle est plus ou moins important suivant les matières, les niveaux et explique pourquoi les différents enseignants réagissent différemment face au développement de ressources en ligne. Il est déjà apparu sur les campus, puisque l’on accompagne déjà nos étudiants, on leur apprend à travailler, à s’autonomiser. Il deviendra central dans un environnement où la connaissance sera accessible de manière généralisée.

Depuis que l’on parle de pédagogie active, et de cours en ligne, on voit que le rôle de l’enseignant passe d’un transmetteur d’information à un accompagnateur, quelqu’un qui relance, motive, instille la passion de la maitrise de la connaissance (d’aucun dirait sa discipline, mais cet angle par discipline me paraît porteuse de biais). La question se pose de l’équilibre entre savoir (qui est maintenant universellement disponible) et savoir chercher, de savoir poser les bonnes questions.

La question de la « rémunération » des enseignants se posera rapidement à savoir comment on évalue le temps passé selon ces différents rôles (dit autrement comment on compte les différentes activités ou comment cela s’intègre dans les grilles de valorisation basée sur les activités de cours/TD/TP).

Pour la création de cours, si l’on évalue cela de la même manière que d’assurer les cours actuels, l’enseignant ne s’y retrouvera pas. On imagine bien que la préparation est plus importante, et que le cours ne sera sans doute pas donné annuellement en amphi. La péréquation actuelle entre préparation et cours (répété plusieurs années) n’est plus la même.

De même le temps passé à l’évaluation va devoir devenir explicite et non pas compris dans les temps comptés pour les cours.

Pour l’assistance, l’accompagnement, le tutorat, les témoignages sont nombreux pour rapporter que ces tâches ne sont pas intégrées dans la charge de travail à leur valeur réelle. Le temps passé en ligne peine particulièrement à être reconnu par les universités. Si l’on veut que les activités d’enseignement puissent évoluer d’un modèle de Cours/TD/TP en présentiel à un suivi plus personnalisé, et à une mise en ligne des séquences, qu’elles soient transmissives ou basées sur des échanges, il va falloir clairement établir des règles équitables, voire incitatives.

Il serait donc de bon ton de valoriser les tâches de création, et de conception pédagogique par les enseignants au delà de ce qu’elles sont pour inciter à la mise en ligne. Et pour que les cours en ligne soient des lieux d’échanges et qu’ils soient relayés dans les campus, il faudra reconnaître les temps passés de manière équivalente au temps passé en TD ou en TP.

Comme approche de valorisation, on pourrait également évaluer par rapport au nombre d’inscrits. On sait que dans un établissement, il y a un rapport entre enseignants et étudiants qui oscille entre, disons, 10 et 30 (il y a des cas en dehors de ces limites). Si on peut montrer qu’un cours permet d’augmenter ce ratio, d’améliorer les apprentissages, ne pourrait-on pas en faire profiter l’équipe pédagogique pour lui permettre de développer d’autres activités ?

On parle souvent de modèle économique pour les MOOCs. Le premier élément de ce modèle est de se poser la question de comment comptabiliser le temps humain consacré aux cours en ligne, et cela aussi bien en formation première qu’en formation professionnelle. Cela permettra également de donner un coût à ces formes de cours, ce qui est sans doute aussi important que de savoir comment les valoriser sur le marché.

La question apparaîtra rapidement dès que le temps des premières expérimentations sera passé (on nous la pose déjà). Et si on veut faire décoller l’offre, la réponse se devra d’être satisfaisante, sinon les enseignants ne bougeront pas, et l’offre ne serait pas satisfaisante. Une réponse minimale sera de l’intégrer dans les grilles existantes. Le problème se posera En prenant ce problème par le haut, il serait possible d’en faire un levier pour accompagner le changement. En tout cas, certainement pas une notion à négliger dans nos institutions.

 

Crédit photo : Keeping An Eye On Time par BramstonePhotography – licence CC-by-nc-nd

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8 Réponses to “La place de l’enseignant dans un monde de MOOCs ?”

  1. Armand Stroh Says:

    Ces questions , en particulier concernant la valorisation ou la prise en compte du temps , se posent probablement d’une façon différente pour les cMOOC que pour les xMOOC , qui permettent une transposition plus facile des formes de « décomptes » déjà connus.
    Mais l’ essentiel des cMOOC authentiques ne sera-t-il pas animé de façon « ouverte et bénévole », ou du moins par un investissement par intérêt personnel de type « bénévole associatif », plus que pour « gagner sa vie » ou « faire du fric » ?
    On voit bien comment dans la forme connectiviste on ne peut pas différencier institutionnellement des rôles traditionnels de l’ « enseignant-formateur » et de l’ apprenant : l’ encadrement « flou » en termes de « directivité », fait qu’en permanence le rapport « formateur / formé » est beaucoup plus réversible dynamiquement, en fonction des besoins du processus d’apprentissage collectif, que dans les formes traditionnelles plus asymétriques.
    L’ arrivée massive à la retraite des « papyboomers » issus du monde de l’ enseignement et de la formation, crée aussi un nouveau vivier pour encadrer ce genre de « cMOOC » …

    • Jean-Marie Gilliot Says:

      Bonsoir Armand,
      certes les modalités d’animation des cMOOCs et des xMOOCs ne sont pas les mêmes. Il n’empêche qu’il y a nécessité d’accompagnement dans les 2 cas, et que cela se traduit par du temps passé. Ce n’est pas parce que l’enseignant est accompagnateur qu’il n’y a que des apprenants dans la communauté (pour moi le rôle d’accompagnateur fait partie du « métier » et n’oublions pas le rôle de préparation conception qui est également fondamental).
      On peut se poser la question de savoir si le métier d’enseignant existera effectivement. A mon avis oui. Tout comme il existe déjà des associations, des bénévoles et des professionnels. Il y aura des MOOCs plus bénévoles, avec une place réelle pour les retraités. Mais le pari est qu’il y aura parallèlement des cours dans les universités et les écoles de ce type qui donneront aux étudiants/élèves l’envie et les moyens d’apprendre.
      Et j’espère que notre société ne considère pas que le rôle d’enseignant/ d’éducateur sera porté par des retraités, aussi expérimentés soient-ils. Ils ont bien mérités de faire ce qui leur plaira.

  2. Yvan Noël (@vanohe) Says:

    Bonsoir Jean-Marie,

    Plus je relis les rôles de l’enseignant que tu listes et identifies, plus j’y trouve la dreamteam des ingrédients d’un bon apprentissage mixte (c’est comme ça qu’on dit blended learning ?) en mode classe inversée.

    Je n’évolue pas dans le monde universitaire, non, je suis dans la formation professionnelle continuée, pour adultes donc, et qui ont déjà un emploi de surcroît. Pourtant, quand j’imagine mon cours rêvé, quand je rêve mon cours idéal, j’y retrouve toutes les casquettes dont tu coiffes l’enseignant (de Mooc).

    Evidement, avec des petits groupes d’une dizaine de personnes sur une durée limitée de deux à trois jours sur deux à trois semaines, on ne peut espérer obtenir l’effet Mooc — bien qu’habitué à la formation en ligne « des deux côtés de la barrière », j’ai toujours eu tendance à snober le synchrone en ligne, et je n’avais jamais ressenti l’importance et la puissance de la communauté aussi fort qu’avec #ITyPA — mais ce n’est pas une raison pour se rabattre sur du pur présentiel ou du pur elearning, non ?

    Serait-ce donc là les rôles de tout pédagogue en ligne ou en apprentissage mixte, toutes proportions gardées ?

    • Jean-Marie Gilliot Says:

      Si bien sûr, tous ces rôles sont présents dans les formations.
      La question est d’abord de les reconnaitre, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le phénomène des MOOCs roblige à re-préciser les choses, d’autant que ces rôles dans une communauté ne peuvent pas être tenus par une seule personne.

  3. Rémi Bachelet Says:

    « Coursera est à la recherche de producteurs de cours en ligne que sont les enseignants (avec ou sans université porteuse de label) »

    Ah oui ? Je les ai contacté pour parler « gestion de projet » et ce que j’en ai conclu au bout de 2-3 méls, c’est que sans la carte de visite d’une université très réputée, c’est « la porte » direct… Tout ce qui les intéresse pour l’instant c’est d’aligner des grands noms pas la qualité des cours.

  4. L’université ne voit pas venir le MOOC | Mario tout de go Says:

    […] connectivisme) avec une masse impressionnante d’autres étudiants. Le ou les professeurs « dans un monde de MOOCs » adopte(nt) une posture différente. Cette vidéo (En) de Dave Cormier et Neal Gillis me paraît […]


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