Des outils d’IA génératives pour les sciences, vraiment ?

Je propose ici un petit retour d’expérience sur ma participation à une semaine de formation pour découvrir les usages de l’IA Générative pour les sciences. Au travers de ce retour, nous cherchons à partager des réponses aux questions suivantes en trois billets : Quel cadre pédagogique pour tirer parti de cette technologie d’IA Générative ? Comment construire un programme de découverte d’une nouvelle technologie de l’information ?Dans ce troisième billet, nous explorons si cette technologie peut effectivement être utilisée dans un cadre de recherche scientifique ?

Le développement des IA générative a connu un succès grand public sans précédent. Ce développement impacte potentiellement tous les métiers. Dans le cadre d’un cours d’inter-semestre, nous avons exploré la question des pratique de ces IA génératives dans le cadre des sciences. Nos étudiants ont proposé un guide de bonnes pratiques à l’issue de notre semaine commune.

Lors d’une exploration préalable, j’ai pu découvrir l’existence de tout un ensemble d’outils spécifiques pour le chercheur, beaucoup plus diversifiée que ce que laisse penser l’omniprésence des outils conversationnels comme ChatGPT et tous ses concurrents.

Comme l’offre des IAG évolue très vite, il est également intéressant de regarder ces services et outils plus spécialisés, et ce pour 2 raisons. D’abord, parce que dans le cadre de la recherche, ils sont spécifiquement basés sur les articles de recherche comme données d’entrée, ce qui est une garantie dans le processus, sauf quant il s’agit de demander une reformulation plus simple. Ensuite, parce qu’actuellement, c’est la bonne manière de découvrir ce qu’il est possible de faire avec les IAG. La liste proposée ci-dessous émerge d’une exploration de ces outils. Des outils spécialisés, issus d’autres domaines peuvent également mériter qu’on s’y arrête. Deepl, qui d’abord est un outil de traduction (i.e. une IAG spécialisée) propose un outil de type traitement de textes outillé (Deepl Write).

Un point important à préciser d’emblée est que ces outils peuvent fournir les sources de leurs textes, et surligner les extraits de texte concernés. Dans une démarche scientifique, il est en effet indispensable de pouvoir sourcer les informations, de disposer de leur contexte, et de vérifier que ces informations puissent effectivement être réutilisées dans le contexte de recherche.

Je propose donc ici d’abord quelques points d’entrée. Autre point important, l’extraordinaire évolutivité du domaine, entre évolutions incessantes, et annonces fracassantes, fait que (1) cette liste est amenée à évoluer, (2) ce qui n’est pas encore convaincant aujourd’hui peut le devenir rapidement, et (3) la forme d’interaction la plus efficace est encore à trouver, ou au moins à confirmer. Voici donc quelques tâches, qui sont sans doute à compléter, dans lesquelles une IA Générative (IAG) pourra vous aider :

  • L’exploration d’un sujet. Quand on aborde un nouveau sujet, il est souvent difficile de cerner les concepts, les mots clés pour trouver des sources. Un article sur Wikipédia, un article de vulgarisation écrite par un expert constituent de bons points d’entrée. Commencer par des articles scientifiques peut s’avérer ardu. Dans tous les cas, demander à une IAG de reformuler en variant les styles permet de mieux comprendre et de revenir vers des formulations plus scientifiques. Vous pouvez décliner cette approche par concept, question de recherche, hypothèse … Vous pourrez alors explorer les articles de références sur ces sujets, en étant prêts à vous les approprier.
  • Explorer et détailler un article de recherche. Demander un résumé d’un article est particulièrement facile, mais en quoi celui-ci est il plus pertinent que celui proposé par les auteurs et surtout en quoi répond-il à votre question spécifique ? Clairement, ces outils ne proposent pas de remplacer votre expertise, mais de vous accompagner dans votre lecture et vous faire gagner un peu de temps. En fait, on peut aller en profondeur sur un certain nombre de points. Une IAG vous permet de poser de nombreuses questions d’exploration suivant votre point d’intérêt : quels sont les apports de l’article, quelle est la méthode utilisée, la dimension de l’échantillon, … ? Bref, il devient facile d’extraire de l’information spécifique.
    Et comme indiqué précédemment, il est toujours possible de demander une reformulation pour explorer un concept qui vous paraît nouveau.
  • Explorer un corpus. On peut élargir la tâche précédente à un corpus de documents, mais ce n’est pas directement accessible sur les versions d’essai. Cela peut a priori permettre de construire une réponse basée sur les informations dans ces textes, mais il reste à évaluer comment sont gérées les contradictions.
  • Conduire sa revue de littérature. Les nouveaux outils permettent de dépasser une simple recherche par mots clés. Il devient possible de poser une question de recherche et d’obtenir une série d’articles qui s’y rapportent et d’obtenir une synthèse (consensus, elicit, scispace), d’explorer la littérature par graphe de proximité de chercheurs ou de sujets (ResearchRabbit). Certains outils vous promettent des recommandations d’articles en fonction de vos recherches précédents (GoogleScholar) ou en fonction de votre base d’articles (SemanticScholar). Bref, ces outils vous offrent des nouvelles manières de faire des revues de littérature. Il s’agit de combiner ces points de vue, pour vous construire une base d’articles qu’il vous restera à comprendre.
  • Explorer des données. Les outils d’IAG vous permettent d’extraire des données de toutes sortes de sources, y compris d’un tableau dans un pdf. Ils vous permettent également de mettre en forme ces données selon les spécifications de l’outil que vous visez. Je n’ai pas encore investigué ce point là, mais il est clair que c’est une étape toujours chronophage, qui mérite des outils dédiés.
  • Produire du code. Clairement, les IA génératives peuvent rendre de grands services pour aider à créer du code. Pour nombre de codes simples, les propositions des IA génératives peuvent faire gagner beaucoup de temps. Il peut rester une phase de mise au point, mais c’est un usage plébiscité.
  • Organiser son papier. Les plans d’articles scientifiques sont finalement assez classiques. Il n’est donc pas étonnant qu’une IA générative puisse vous faire une première proposition qui permette d’éviter la page blanche, et que vous pourrez affiner, en conversant avec l’IAG, et en ajoutant ce que vous considérez comme important.
  • Écrire son papier. Il ne s’agit pas ici de générer un document automatiquement, mais bien de se faire aider dans son écriture. L’IAG vous permet de reformuler, pour améliorer le style, pour vous permettre de reprendre une idée que vous avez déjà formulé dans un article précédent (pour éviter l’auto plagiat), pour citer correctement une idée issue d’une référence. La traduction est également une option logique en visant un style scientifique.
  • Améliorer son texte. Les IAG peuvent servir de relecteur. Tout comme il est intéressant de faire relire votre papier par un collègue, ou un pair, vous pouvez demander à une IAG d’analyser votre texte, de vérifier votre argumentaire, de regarder si il est possible de mieux présenter une idée. Reprenez les éléments d’exploration d’un article de recherche et appliquez le à votre brouillon.
  • Présenter vos résultats. L’IA générative ne s’arrête pas à la génération de texte, il y a évidemment les illustrations, mais aussi des outils d’aide pour les diaporamas, et bientôt les vidéos.

Pour effectuer toutes ces tâches, il est possible d’utiliser une IAG généraliste comme ChatGPT (avec des résultats bien supérieurs pour la version payante), qui intègre de plus régulièrement les idées développées par d’autres sous forme de plugins variés.

Parmi tous ces outils, certains sont issus de démarche de science ouverte (comme SemanticScholar), alors que d’autres sont au contraire issus d’éditeurs qui ont été décriés, mais qui annoncent assurer une qualité supérieure (voir l’annonce par Springer de l’outil Curie). Notons également que les outils existants ont tendance à proposer leur propre IAG, le dernier que j’ai vu apparaître est l’extension proposée par Writefull pour le bien connu éditeur latex collaboratif Overleaf.

Citons quelques outils parmi ceux que nous avons pu tester :

  • SemanticScholar qui permet de faire des recherches, propose des résumés en une phrase, et met en avant les éléments importants d’un article. Un outil de recherche dans la littérature scientifique ;
  • Consensus qui vous propose sur une question de recherche les articles les plus pertinents, les conclusions de chacun, et une synthèse. Une bonne base pour entamer une exploration, ou au contraire constater qu’un consensus existe déjà ;
  • AskYourPDF qui permet de converser avec un article. Un outil spécialisé, sur une tâche ;
  • SciSpace, est ce qui ressemble le plus à un outil intégré pour la recherche scientifique, en vous permettant de gérer votre bibliothèque de références, de faire une revue de littérature, d’explorer un texte ou un corpus, de citer, paraphraser, de détecter du contenu généré par l’IA générative. Il propose également un cahier de notes, et un plugin pour simplifier du texte ou aller chercher des références, dans un pdf ou sur une page web.
  • AI reviewer, pour avoir un retour sur un article en cours de rédaction.

Dans tous les cas, rappelons quelques éléments de bonnes pratiques :

  • Avant tout, posez vous la question de savoir si votre travail peut être diffusé sur une plateforme externe, qui peut réutiliser ce travail. Ces outils ne vous garantissent pas un niveau de confidentialité absolu ;
  • L’IAG est un assistant pour vous accompagner dans votre travail, un partenaire avec qui échanger, mais pas un outil auquel vous déléguez votre travail ;
  • Interagissez en anglais. Ce conseil ne plaira pas à tout le monde, mais les bases de ressources scientifiques sont majoritairement en anglais. De plus, l’anglais reste la langue pivot de beaucoup d’outils, qui y reviennent naturellement.
  • Décomposez vos étapes, préciser ce que vous voulez, cela vous permettra de construire des prompts précis, pour obtenir des résultats corrects.
    • Réitérez, précisez, interagissez pour raffiner ;
    • N’hésitez par à prendre le contre-pied, en lui demandant ce qu’il a écarté par exemple, ce qu’il manque dans votre proposition …
  • Prenez le temps d’analyser les réponses. Vérifiez les sources. Les réponses des IAG, mais aussi les articles publiés, peuvent comporter des biais. Le texte peut être hors sujet, car issu d’un passage qui parle d’autre chose, ou qui le donne en contre exemple …
  • Dans tous les cas, gardez le contrôle, c’est vous qui êtes responsables de la construction des idées, par les IAG.

En synthèse, l’IAG n’est pas là pour vous remplacer, mais peut effectivement jouer le rôle d’un assistant qui répond à vos questions, qui vous fait des mémos, qui mâche des étapes de votre travail. À vous d’apprendre à travailler avec un assistant, c’est à dire interagir avec lui pour l’amener à faire au mieux de ses possibilités, l’amener à vous remettre en question, bien considérer ce qu’il vous propose et garder le contrôle sur chaque étape, sur chaque conclusion. Si vous le prenez comme tel, vous pourrez aller assez loin.

Crédit photo : Multnomah Whiskey Library Portland Oregon par dog97209 licence CC-by-nc-nd2.0

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Découverte de l’IA Générative pour le jeune chercheur

Un déroulé et retour d’expérience d’une semaine de formation

Je propose ici un petit retour d’expérience sur ma participation à une semaine de formation pour découvrir les usages de l’IA Générative pour les sciences. Au travers de ce retour, nous cherchons à partager des réponses aux questions suivantes en trois billets : Quel cadre pédagogique pour tirer parti de cette technologie d’IA Générative ? Comment construire un programme de découverte d’une nouvelle technologie de l’information ? https://tipes.wordpress.com/2024/03/11/des-outils-dia-generatives-pour-les-sciences-vraiment/Est-ce que cette technologie peut être utilisée dans un cadre de recherche scientifique ? Dans ce billet, nous nous intéressons à la construction d’une telle semaine de formation.

J’ai participé à une formation intensive d’une semaine, dite d’inter semestre, d’exploration des usages possibles et pertinents de l’IA générative pour des étudiants de master, en tant que jeunes chercheurs. La formule des inter-semestres permet de faire un pas de coté dans la formation, et de proposer des sujets originaux et des formats pédagogiques plus ouverts. La proposition d’activités dynamiques qui emportent l’adhésion des étudiants fait partie des attendus de cette formule. Cela fait longtemps, que j’aime bien contribuer à ce type de formule (pour la programmation sur mobile ou le web2).

L’objectif de cette formation était donc d’explorer le sujet des Intelligences Artificielles Génératives (IAG) pour les sciences avec un œil critique. Les IAG sont clairement un vecteur de changement potentiellement important dans beaucoup de nos pratiques. La question ici porte sur les pratiques dans le futur métier de nos étudiants.

Pour construire un scénario pédagogiques pertinent, plusieurs dimensions sont donc à combiner :

  • La conduite du changement autour de deux points : (1) pour une appropriation par les personnes, il est indispensable de leur donner un sentiment de contrôle sur les facteurs de changement et donc sur leur apprentissage ; (2) l’adoption d’une nouvelle technologie passe souvent par plusieurs étapes (sur le modèle du cycle de maturité de Gartner), commençant par des attentes très fortes (l’effet waouh très présent avec les IAG), suivies d’une certaine désillusion, puis d’une phase de consolidation. La question pour ce second point est de condenser ce cycle sur une semaine ;
  • La mise en pratique, indispensable pour le sentiment de maîtrise ;
  • L’apport de points de vue complémentaires pour prendre du recul sur la nouvelle technologie ;
  • Le travail collectif pour la mise en débat, le développement d’une approche critique, le croisement des expériences, la dynamique du cours et l’analyse réflexive. Nous avons mis en place un document collaboratif qui a permis une prise de notes partagées, la coordination, l’échange de résultats du travail en petit groupe et individuel.

Un déroulé qui marche bien pour explorer une technologie de rupture est le suivant. Dans un premier temps, l’idée est de commencer par une découverte, puis d’alterner apports d’experts et activités d’appropriation les trois jours suivants. Le dernier jour est dédié à une production finale collective qui est partagée dans la communauté autour du cours (ici un guide de bonnes pratiques proposé à l’ensemble des participants aux différents inter-semestres). Détaillons tout cela.

Le premier jour vise à construire le groupe et à passer la première étape du cycle d’adoption. Il y a donc un temps pour faire connaissance, pour partager les attentes de chacun. Le reste de la journée se passe avec quelqu’un qui peut donner des exemples variés, inspirants, donner des pistes et premières règles d’usages, amener les participantes à des premières pratiques. Cette journée sert à démontrer les possibles et à donner aux participants la confiance suffisante pour démarrer. Un intervenant praticien (souvent extérieur au cadre universitaire) est le meilleur ambassadeur pour aborder cette étape.

Les trois jours suivants sont construits sur un modèle commun : présentation d’experts en matinée, atelier l’après midi et débriefing en fin de journée. Les experts permettent d’apporter de la connaissance avec souvent des aspects pratiques. Le débriefing de fin de journée s’avère essentiel pour bien faire le point sur l’avancée du groupe, les acquis et positionner les différentes activités.

L’atelier de la deuxième journée doit nous permettre de passer l’étape de la désillusion. Les premières mises en pratique doivent permettre d’obtenir des résultats, mais ceux-ci risquent fortement d’être en retrait par rapport aux attentes surdimensionnées des participants. Une analyse réflexive collective permet de faire le point et de réajuster les objectifs et les pratiques.

Dans notre cas, nous avons demandé d’utiliser les IA génératives pour construire une présentation sur un sujet de controverse qu’ils devaient ensuite présenter. Les outils de construction de diaporamas ont permis d’obtenir très rapidement un résultat visuellement attractif. Par contre, les IA génératives ont l’art de ne pas prendre parti. Elles proposent des points pertinents, mais de manière à équilibrer le discours, voire de le rendre le plus neutre possible. De plus, comme nous avions contraint le temps, la présentation arrive très rapidement, et la question de l’appropriation du discours par l’orateur est apparue comme cruciale. En analysant lors du débriefing les limites de l’exercice, les participants ont pu repositionner leurs attentes, mieux comprendre comment dialoguer avec les IA génératives et intégrer la nécessité d’analyser et de s’approprier les résultats.

L’atelier de la troisième journée vise à construire une première solution concrète satisfaisante. Nous avons donc décomposé le processus de rédaction d’un article, et demandé de se positionner sur une étape précise du processus pour explorer des outils d’IA générative dédiés à la recherche, d’en identifier les potentialités, de tester les bonnes manières de les utiliser et de proposer un retour d’expérience. Cela a permis de décomposer différentes étapes et d’affiner les recommandations pour bien interagir avec ces outils.

L’atelier de la quatrième journée a permis de continuer cette appropriation, et de permettre à chacun d’aller à son rythme. Certains ont souhaité aller plus loin dans leur appropriation des outils, d’autres ont ressenti le besoin de faire le point sur les différents apports des experts. Les questions plus controversées des IA ont peu mobilisé, si ce n’est la question de l’impact écologique. Nos étudiants ont ressenti le besoin de travailler individuellement, tout en continuant à produire sur le document collaboratif du cours. La fin de la séance a permis de proposer un premier plan pour le guide de bonnes pratiques pour l’utilisation d’IA génératives en sciences, qui était l’objectif final du cours.

La dernière matinée a permis la rédaction de ce guide sous forme d’un sprint d’écriture. Pour permettre une revue du plan et des idées que les étudiants comptaient intégrer, notre animatrice (Riwalenn Ruault) a proposé plusieurs modalités d’animation : D’abord quelques questions pour mieux préciser la nature du livrable (objectif, public visé, …), un portrait chinois de l’IA générative (et si l’IA était un animal, une fleur, une musique…) et la méthode des chapeaux de Bono, ce qui a poussé à apporter au plan des éléments complémentaires et d’esquisser une cohérence au guide visé. Ces différentes modalités ont permis aux étudiants de prendre du recul sur leur production en un temps record et d’en améliorer notablement le contenu. L’IA générative a permis le lissage de la rédaction pour un résultat impressionnant en 3 heures à 17 participants.

En termes de bilan, les retours de nos étudiants ont été très positifs sur l’approche. Leur positionnement par rapport à la technologie a également évolué tant en termes d’appréciation, d’analyse critique que d’usage.

Pour information, ce cours a été monté dans le cadre d’une semaine d’inter-semestre organisée par IsBlue, une école universitaire de recherche dédiée aux sciences et technologies de la mer. L’interdisciplinarité était du coté des étudiants qui venaient de formations variées, mais aussi de l’équipe pédagogique. La préparation s’est faite avec des chercheurs en sciences physiques et des ingénieurs pédagogiques, et mon apport entre IA générative et pédagogie, qui a permis d’élargir le cadre interdisciplinaire de l’équipe. La maturité préalable des étudiants par rapport à l’approche scientifique a clairement facilité la mise en place de la dynamique du cours et d’aller plus loin dans les échanges. En conclusion, ce type de cours permet des interactions riches avec les étudiants, et un plaisir partagé entre étudiants et intervenants.

Crédit graphique : image générée par les étudiants du cours à l’aide d’une IA générative

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L’agentivité comme cadre de réflexion pour l’IA dans la classe

Je propose ici un petit retour d’expérience sur ma participation à une semaine de formation pour découvrir les usages de l’IA Générative pour les sciences. Au travers de ce retour, nous cherchons à partager des réponses aux questions suivantes en trois billets : Quel cadre pédagogique pour tirer parti de cette technologie d’IA Générative ? Comment construire un programme de découverte d’une nouvelle technologie de l’information ? Est-ce que cette technologie peut être utilisée dans un cadre de recherche scientifique ?

Par rapport à l’usage de l’IA Générative (IAG), différentes craintes se font entendre autour de l’idée que l’apprenant puisse se servir de cet outil pour répondre sans avoir à apprendre. Il est donc indispensable qu’une interaction avec une IAG se fasse dans un processus plus large d’appropriation et de réflexion. La réponse d’un tel outil doit être donc soumise à une analyse critique, à une appropriation par l’apprenant et donc à un travail complémentaire d’exploitation et d’intégration. Il est difficile de motiver un étudiant en lui dictant un tel travail, ce travail ne peut s’opérer de manière efficace que s’il peut s’opérer de manière indépendante.

Comme le rappelle Wayne Holmes dans son chapitre IA, AIED et agentivité, l’agentivité est cette capacité d’agir de manière indépendante,en opérant des choix parmi différentes options en fonction de ses croyances, de ses valeurs et de ses objectifs. L’agentivité est cruciale pour le développement personnel et la réussite de l’individu. Je vous invite d’ailleurs à lire ce document, très clair et explicite. Il donne comme exemple : «  la capacité d’agir des élèves peut être accrue quand ils ne sont pas traités comme de simples destinataires de la connaissance, mais comme de véritables acteurs du processus éducatif et quand ils jouissent de l’autonomie nécessaire pour explorer leurs propres domaines d’intérêt, poser des questions, identifier et fixer leurs propres objectifs d’études et s’approprier leur propre apprentissage ». Il rappelle que l’agentivité des enseignants est également importante.

L’IA est souvent déployée comme source de recommandations, de retours instantanés ou de ‘solutions’ proposées, ou comme une source de mesure. Dans ce cas les apprenants perdent l’opportunité de développer une réflexion critique. L’étude de Darvishi, Khosravi, Sadia, Gasevic, et Siemens : Impact of AI assistance on student agency (Impact de l’assistance basée sur l’IA sur l’agentivité des étudiants) conclut au travers d’une expérimentation visant à développer l’autorégulation des apprentissages des étudiants qu’une assistance simple ne permet pas aux étudiants de développer leur autonomie, même si le soutien immédiat est réel et mesurable. L’hypothèse est que les étudiants ne s’approprient pas ces questions dans ce cas. A contrario, des aides explicites et l’incitation à l’échange entre pairs donne des résultats plus encourageants.

Il semble donc indispensable que l’IA soit intégrée comme outil d’aide à penser, plutôt que comme une assistance que comme outil de contrôle ou de prise de décision à votre place. Des démarches de résolution de problèmes, ou de réalisation de projets semblent plus adaptées pour une association de l’IA au travail de l’étudiant.

Dans notre prochain billet, je vous propose un retour d’expérience sur une modalité de découverte de l’IA générative dans la démarche scientifique.

Crédit photo : Images d’Alice, au pays des merveilles – Salle des portes par Bibliothèque des Champs Libres licence CC-by-SA2.0

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Conception participative de tableaux de bord d’apprentissage – seconde version

Les tableaux de bord d’apprentissage, ce sont ces tableaux qui vous permettent de visualiser et de comprendre les informations collectées dans les environnements numériques d’apprentissage. C’est la partie visible de l’iceberg des « learning analytics ». Le problème, c’est qu’il est difficile de savoir ce qui sera utile aux utilisateurs (élève, étudiant, professeur, assistant, gestionnaire de formation …) pour pouvoir détecter des problèmes, mieux comprendre ce qui se passe dans les classes, les établissements… et finalement pour exploiter cette compréhension pour améliorer les choses. Une difficulté complémentaire est que nombre de ces potentiels utilisateurs ne se sont même pas posés la question d’utiliser ce genre d’outils. Du coup, l’idée de proposer une démarche de conception participative paraît naturelle.

Fin 2018, nous avions conçu un kit de conception participative, intégrant brainstorming et prototype papier qui avait plutôt bien fonctionné. Il permettait à des groupes de gens d’imaginer et d’exprimer leurs besoins. Depuis, il y a eu la pandémie qui nous a bien ralenti, mais aussi de nombreuses personnes qui ont voulu réutiliser cet outil. Plusieurs d’entre elles ont cherché à le modifier, à l’améliorer, et nous en ont parlé.

Cela nous a amené cette année à organiser un atelier à la conférence EIAH en début d’été, et une journée de travail pour imaginer une version améliorée en octobre qui a réuni 10 personnes (chercheurs en EIAH, designers, ingénieurs pédagogiques, et autres innovateurs pédagogiques). Après cela, nous avons eu un travail de réalisation pour transformer toutes ces idées en kit disponible. Les échanges ont permis de remanier assez profondément le kit, pour encourager les échanges, et pour mieux capter les besoins.

Du prototype à la main
à quelque chose de plus fini

Il ne restait plus qu’à tester…

Dans le cadre du projet incubateur AT41 (De l’Appropriation des outils numériques à la Transformation des pratiques pédagogiques dans le département 41), nous avons pu travailler avec 2 groupes d’enseignants de collège qui nous ont proposé des tableaux pour mieux suivre leurs classes dans leurs pratiques numériques. Certains points ont plutôt bien marché, d’autres les ont laissé indifférents. Mais le résultat est encourageant, car les propositions qu’ils nous ont faites sont originales, et exploitables.

Une proposition de visualisations

Mais si un tel kit permet d’exprimer des besoins et des envies, il faut ensuite traduire cela en tableaux de bord utilisables. Pour l’analyste qui construit le tableau de bord, il est nécessaire de comprendre ce que les participants ont exprimé, de faire des choix lorsque cela n’est pas clair, ou pas réalisable, mais aussi de proposer des solutions complémentaires qui pourraient être plus pertinentes que celles exprimées sous forme de prototype papier. Une seconde phase de conception participative est alors de retravailler avec les participants pour discuter ces choix et ces propositions. Cette deuxième étape a eu lieu hier, 23 novembre 2021. Les participants ont été très intéressés par cet échange, ont pu préciser leurs idées, et réagir aux différents affichages proposés, qu’ils soient une transcription fidèle de leurs idées ou des propositions. Un événement non attendu est qu’à l’arrivée des échanges, les 2 groupes ont eu tendance à proposer une fusion des travaux des deux groupes pour suivre au mieux les pratiques de leurs élèves. Hasard dû à la discussion, ou première émergence de points de vue convergents ? il est trop tôt pour le dire. Bref, la conception et la participation se sont approfondies au travers des ces échanges. Leur question finale était de savoir quelle sera l’étape suivante. Et c’était la meilleure qu’ils pouvaient poser.

Un exemple de prototype de Tableau de bord pour discussion

Pour ceux qui sont intéressés, les différentes versions du kit sont disponibles en ligne, en attendant une publication scientifique. Nos encourageons toutes les personnes intéressées à prendre contact pour échanger, accéder aux sources en attendant que nous les mettions en ligne ….

Comprendre les phases du confinement dans le supérieur pour préparer l’après

Depuis le début du confinement, les choses évoluent finalement très vite. Même si le fait de rester confiné chez soi semble rendre le temps particulièrement long, nous constatons qu’un changement rapide est en cours, et qu’il va se prolonger largement après cette « courte » période. Si dans un premier temps la communauté du supérieur s ‘est mobilisée pour gérer l’urgence, les sujets apparus dernièrement nous démontrent que « l’école d’après » reste à être définie aussi dans le supérieur.

Phase 1 : « l’urgence de la continuité pédagogique »

Mi mars, en quelques jours il a fallu passer d’un enseignement présentiel (mais aussi souvent déjà hybride, puisque souvent le numérique permet a minima de communiquer et partager des supports de cours) à un enseignement à distance. Il a donc fallu jongler entre outils existants, qui couvraient certains besoins et trouver des solutions pour compléter. Si certains s’inquiétaient de n’utiliser que des solutions « officielles », beaucoup de solutions alternatives ont été explorées, discutées, et retenues. Discord a ainsi fait une entrée remarquée dans les solutions intéressantes, car permettant de soutenir le travail en petits groupes.

Le passage du présentiel à la distance a posé comme question centrale l’organisation des séances synchrones (cours en amphi, TD, TP). Les établissements ont eu recours à des systèmes de visio, dans lesquels Zoom a pris une place importante. Plusieurs débats en ont découlé :

  • Techniques – est ce que les outils tiennent la charge, permettent l’interactivité ? La réponse est que oui globalement, si les infrastructures sont suffisantes. Dit autrement, il a souvent fallu passer par des solutions externes aux établissements pour cette raison. Et pour l’interactivité, beaucoup de solutions actuelles permettent de créer des petits groupes facilement.
  • Éthiques et sécurité – un large débat a eu lieu autour des failles de sécurité et des fuites de données liées à Zoom. Cet outil a de fait géré une crise de croissance exponentielle, qui démontre d’une part la capacité des solutions informatiques modernes a changer d’échelle, mais les limites des solutions proposées par des startups. Le débat est classique, avec toujours les mêmes arguments entre cloud, logiciel libre et directions des systèmes d’information, mais il ne trouve toujours pas d’issue satisfaisante ;
  • Pédagogiques – la distance met en avant le temps limité pendant lequel quelqu’un peut écouter de manière efficace, et les problèmes d’agenda. Il a fallu apprendre à limiter la durée des amphis, pour aller à l’essentiel, trouver des moyens pour renforcer les interactions, privilégier le travail en petits groupes. L’enregistrement de la séance est devenue indispensable pour les absents. L’absence n’est plus une faute, mais due à des causes multiples (techniques, obligation extérieure, décalage horaire, …). Beaucoup de choses ont été testées, et de nombreuses leçons en ont été retirées, sur lesquelles il va falloir capitaliser.

Bref, cette remise en question soudaine, imposée mais légitime, a permis de se reposer beaucoup de questions sur nos pratiques, a généré énormément de travail, mais permet de dessiner de nouvelles perspectives.

Phase 1 bis : « et nos étudiants ? »

Deux faits saillants sont à retenir, et qu’il serait intéressant de pérenniser. D’abord, les étudiants ont été vus comme partenaires dans cette épreuve. Certains enseignants leur ont demandé quelles solutions pouvaient être trouvées pour conserver le contact, si certains outils leur paraissaient plus pertinents.

Ensuite, nombre de collègues se sont inquiétés de ce que devenaient leurs étudiants : leur santé, leur capacité à poursuivre leurs études. Se sont posées aussi les questions matérielles : moyens de subsistance, connectivité, disponibilité de matériel informatique, zone de travail chez soi. Tout est loin d’être résolu, mais tout cela ne pourra plus être ignoré pour la suite. La questions à laquelle il reste à répondre est de savoir « Quel est l’environnement nécessaire pour étudier à distance ? » (y compris pour s’organiser et pour les évaluations, voir plus loin)

Si clairement il y a eu un changement de posture, ce qui s’est également traduit par la question du maintien du lien, je n’ai par contre pas vu énormément de choses sur le maintien ou la transformation des liens sociaux entre étudiants qui est pourtant un des éléments majeurs pour la progression de tous. Et parallèlement, les questions de méthodologie, d’organisation quand on est à distance ont été évoquées ici et là, mais peu traitées me semble-t-il. Et pourtant ce « curriculum caché » va au-delà des questions techniques. Bref, le métier d’étudiant est transformé, c’est donc l’occasion de se pencher sur cet accompagnement nécessaire pour développer la capacité d’apprendre et limiter les inégalités.

D’un point de vue plus pédagogique, le changement en milieu de semestre pose une remise en question des attendus. Certains de nos étudiants doivent gérer beaucoup de difficultés : personnelles, techniques. Le déroulé des cours a été perturbé. Bref, quels seront leurs acquis durant ce confinement ?

Phase 2 : « Des initiatives et des ressources pour aborder la transformation »

Très vite, les cellules pédagogiques des différents établissements ont proposé des portails de conseils et de ressources pratiques pour permettre d’assurer les cours. Des acteurs ont assuré une veille contributive de la presse sur le sujet de l’éducation, ou assuré une revue de cette presse. Des acteurs ont mis à disposition des ressources et des outils ou des conférences. De nombreux temps d’échanges et autre webinaires ont été organisés. La collecte faite sur le site « riposte créative pédagogique », avec une entrée initiatives, et une entrée ressources, donne une idée de la diversité et de la richesse des propositions.

Phase 2 bis : « Routinisation »

Sur deux mois, il est normal qu’une routine se mette en place. C’est ce qui permet de se concentrer sur les apprentissages. Mais comme pour les autres formes de télétravail, la fatigue s’est aussi installée. Les solutions mises en place ont fonctionné mais au prix d’un investissement important de chacun (enseignants et étudiants). Certaines de ces solutions sont d’ailleurs intrinsèquement porteuses de fatigue (les échanges en visioconférences sont plus fatigants qu’en direct, et les réponses aux questions par forums, mails ou autres, sont plus longues à faire qu’à l’oral, et souvent sur des horaires plus larges).

Phase 3 : « Les questionnements sur l’après »

Pendant le confinement, beaucoup de personnes se sont posées la question de savoir si « l’après » serait identique à « l’avant » et comment chacun nous nous positionnons dans cette transformation. Bruno Latour a posé ce questionnement autour d’un questionnaire « Où atterrir après la pandémie? », repris par d’autres. Une version « enseignement supérieur » a été proposée sur le site riposte créative pédagogique – les 4 C : quelles Coopérations ? que Cesser ? que Conserver ? que Créer ? Les retours de ce questionnaire et les interviews réalisés démontrent les différentes prises de consciences et cette étape de transition.

Phase 4 : « L’évaluation »

Cette phase a suscité beaucoup d’échanges et de réactions. Les évaluations sont en effet fondamentalement transformées lorsqu’il n’est plus possible d’avoir des salles d’examen. L’adaptation numérique sous forme de surveillance à distance pose autant de problèmes qu’elle en résout. Les débats ont été ravivés, et ils vont continuer. On le sait la nature de l’évaluation guide l’organisation des apprentissages, et donc les comportements des étudiants. La relation n’est pas la même entre un étudiant que l’on suspecte par avance de vouloir tricher, et un étudiant que l’on considère comme un partenaire dans l’apprentissage. Et cela ne se décide pas sur une UE isolée, mais dans le cadre d’une approche programme. C’est clairement un débat qui va se prolonger au delà de la période de confinement, d’abord parce que c’est un problème qui était déjà posé avant (entre la remise en question du bac chaque année et le décalage ou le passage à distance déjà imposé lors des mouvements des années précédentes) mais aussi parce qu’il est central dans la formation, et trop souvent implicite.

Phase 5 : « Les enquêtes »

Si l’université de Rennes 2 a publié une enquête très rapidement sur les conditions de vie et d’études de ses étudiants, le gros des enquêtes a fleuri sur la fin du confinement. Il faut évidemment un peu de temps pour construire un questionnaire qui tienne la route scientifiquement, pour récolter et analyser les données, surtout quand la majorité du temps est consacré à enseigner en situation d’urgence. Ils sont nombreux aujourd’hui, venant de multiples laboratoires. Gageons qu’ils donneront des éléments factuels posés dans cet article.

Phase 6 : « Penser la rentrée »

Dans le supérieur, nous n’aurons pas de retour d’étudiants avant l’été. Par contre, la question de la préparation de la rentrée, avec une grande incertitude sur les conditions sanitaires qui s’imposeront, se pose déjà de manière aiguë. Sur le modèle de ce qui se passe dans les cycles du primaire et du secondaire, il va falloir arbitrer entre activités à distance et activités en présence, mais « distanciées socialement ». Des voix s’élèvent pour se privilégier le présentiel, mais on sait déjà que le distanciel fera partie du paysage, notamment parce que les étudiants étrangers ne pourront vraisemblablement pas nous rejoindre en septembre. Ce qui inquiète, c’est d’une part qu’ici aussi les directions semblent arbitrer sans tenir compte des terrains (ils sont multiples, de par les niveaux et les disciplines), d’autre part qu’il semble difficile de travailler de la même manière que pendant le confinement, mais aussi qu’il reste beaucoup d’inconnues. La solution ne viendra pas non plus de la mise en place d’un enseignement à distance classique qui ne correspond pas aux pratiques mises en place par les enseignants, ni à leur prolongement, comme le prouve certains questionnements. Bref, il va falloir faire confiance, innover, partager et analyser.

Quelles sont les mise en commun qui pourraient alléger le travail de chacun ? Comment repenser nos pédagogies ? Comment assurer des conditions d’apprentissage pour nos étudiants (en termes techniques, logistiques, d’organisation, de motivation, …) ?
Il est sans doute temps de travailler au-delà des périmètres des universités, écoles et autres établissements pour permettre des mutualisations qui aillent au-delà de l’échange de bonnes pratiques.
En conclusion, le confinement se termine parait-il, mais si nous avons découvert de nouvelles pratiques pendant cette période, nous sommes également conscients que nous n’avons qu’amorcé une transformation qui s’annonce profonde et longue, radicale. Ce débat a commencé au travers de l’évaluation, il devra s’élargir au soutien des étudiants, à l’organisation de la pédagogie, notamment au travers des séances de travail en ligne (TD, TP) avec des modalités actives adaptées à la distance, et sans doute à la coopération et la mutualisation autour de ressources adaptées, adaptables, réutilisables.

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PS1 : je n’ai pas parlé des phases des edTech, dont les acteurs ont hésité à savoir si la continuité pédagogique était une opportunité en or, ou une vraie menace. EdTech, ni sacre ni massacre

PS2 : je n’ai pas non plus parlé de la question des stages, ni d’apprentissage, mais là aussi l’enseignement supérieur est dans le flou.

Crédits photos : moon-in-phases par Spirit Fire – licence CC-by

Enseigner à distance en situation d’urgence – Ce n’est pas de l’enseignement en ligne, C’est une mutation !

Educause est une association américaine qui fait avancer la réflexion sur l’enseignement utilisant le numérique. Elle nous propose un article The Difference Between Emergency Remote Teaching and Online Learning qui mérite d’être analysé, et complété, pour initier une analyse réflexive de ce que nous sommes en train de vivre.

Le cadre principal de l’article est que les modalités d’enseignement à distance proposées dans le cadre du confinement, se déploient dans un contexte fort différent du contexte classique de l’enseignement en ligne. Les auteurs proposent donc cette terminologie « enseignement à distance en situation d’urgence » (EDSU, emergency remote teaching ou ERT), pour distinguer cette nouvelle forme d’enseignement par rapport aux autres champs d’études liés à l’enseignement en ligne. D’un point de vue chercheur, je trouve cela tout à fait pertinent. Leur idée est également que lorsqu’il y aura des bilans de cette période si particulière, il n’y ait pas d’amalgame entre les solutions testées et vécues dans ce cadre avec les autres formes déjà existantes. Bref, de ne pas opérer une comparaison entre le face-à-face traditionnel et cette forme d’enseignement nouvelle pour en conclure n’importe quoi sur l’usage du numérique. La recherche en éducation en général, et donc aussi en intégrant les dimensions de technologies éducatives, est complexe, contextuelle, et nécessite de bien préciser les conditions d’usage.

La deuxième partie de l’article décrit un déploiement d’enseignement en ligne classique, nécessitant un temps de préparation long et une ingénierie spécifique, qui permet de produire des formations en ligne efficaces. Y sont détaillées les différentes options à prendre en compte pour le déploiement de telles formations. Les auteurs se positionnent du point de vue de l’ingénierie pédagogique cherchant à systématiser le processus de création de cours. J’aimerai donc prendre un peu de distance par rapport à leur analyse, tout en la partageant assez largement.

  • D’abord en tant qu’enseignant, je sais que tout cours nécessite du temps pour être conçu, et que les questions de rythme, de modalités, d’activités nécessitent également un travail spécifique, sans doute routinisé dans de nombreux départements d’enseignement (le découpage Cours, TD, TP, projet). La question du temps n’est pas spécifique à l’enseignement ligne. Il reste vrai qu’il y a du temps à prévoir pour intégrer de nombreux aspects dans les outils, avant de démarrer un cours en ligne, et que l’accompagnement prend aussi du temps, mais les exigences de qualité des ressources produites sont ici modifiées.
  • Un point intéressant sur lequel nous reviendrons sans doute dans un prochain article, le changement brutal de mode de fonctionnement met en évidence des éléments implicites dans un enseignement classique qui deviennent apparents, soit parce qu’ils posent des problèmes particuliers (l’évaluation est en tête de liste, avec la connectivité et la capacité à travailler de nos étudiants), soit parce qu’ils permettent d’identifier, ou de renforcer des bonnes pratiques non systématiques (enregistrer une séance synchrone pour permettre de la retravailler).
  • L’approche de conception classique d’un enseignement en ligne est ici présenté d’un point de vue ingénierie. Sont proposées des options validées que l’on n’envisage pas en général en présentiel, visant à pouvoir répéter le cours pour avoir un retour sur investissement. Dans le cas de la crise sanitaire, on est dans un transfert d’un cours présentiel en cours à distance, avec des consignes partagées dans l’urgence, et des ressources mises en ligne. Cela se rapproche plutôt de cours « hybrides » dont le présentiel serait via des systèmes de visio. Le support technique nécessaire n’est pas le même, l’interaction est moins prédéfinie, et plus réactive. On est effectivement sur une autre modalité d’enseignement, un cours plus hybride que d’habitude, mais qui se rapproche de pratiques liées à l’orchestration d’activités et d’interaction avec un ENT. On donne l’accès à des solutions qui permettent de travailler dans l’urgence. Cela donne plus de travail pendant la formation (d’autant que chacun adapte en temps réel), mais c’est également beaucoup plus flexible. Bref, d’un point de vue de l’enseignement numérique, on est bien sur une modalité originale, du moins à ce niveau de déploiement.
  • La recherche de solutions opérationnelles oblige à chercher des solutions originales, hors des solutions préconisées. Le pragmatisme est roi. Chaque enseignant est amené à résoudre ses problèmes par lui même, avec un accompagnement débordé, et dans un contexte ou les initiatives fleurissent. On retrouve des débats déjà abordés autour des usages possibles des outils ouvert du Web en formation il y plus de 10 ans, qui avaient diminué avec l’institutionnalisation du numérique, notamment au travers de l’adoption des ENT .
  • Un point important est qu’effectivement les équipes de soutien pédagogiques (numériques ou pas) ne sont pas dimensionnées pour accompagner le passage du présentiel au numérique de l’ensemble d’une université. Ces équipes font un travail remarquable, pour proposer des solutions opérationnelles, pour analyser des outils nouveaux, pour accompagner au travers de guides très pratiques, de webinaires. Dans mon établissement, nous avons eu une semaine de pause pour opérer le passage du présentiel au distanciel, ce n’était certes pas de trop, et pourtant nous sommes dans un contexte dans lequel nous avons déjà une pratique du numérique et de la distance. J’avoue que j’ai du mal à m’imaginer comment cela peut se passer dans le primaire ou dans le secondaire, sans accompagnement, avec des outils parfois déficients, et des consignes contradictoires.
  • Au final, j’ai l’impression que cela redonne de la liberté pédagogique aux enseignants, en leur permettant de tester de nouveaux outils et de nouvelles modalités, ce qui est plus difficile en environnement contrôlé. Il sera intéressant d’avoir des retours d’expériences qui seront clairement des innovations pédagogiques. Cela rappelle l’époque des premiers MOOC, ou des équipes d’ingénierie pédagogique, et certains chercheurs sur l’enseignement en ligne, considéraient que cette forme d’enseignement ne répondaient pas aux critères établis, et donc ne devraient pas être déployés. S’ils n’ont pas révolutionné l’enseignement, les MOOC ont néanmoins permis quelques belles avancées, tant pratiques que théoriques. Mais revenons à notre article de référence.

Le point sans doute le plus intéressant de cet article, est la question de l’évaluation de cet « enseignement à distance dans l’urgence », qui ne se ramène évidemment pas à une simple comparaison de média. De manière classique, il rappelle que les objectifs d’évaluation sont également différents suivant les parties prenantes (stakeholders), et leur définition de la réussite :

  • D’un point de vue formation, la réussite est d’abord celle des apprentissages visés par la formation (compétences visées, incluant savoirs, savoirs faire, attitudes, …). Le changement de modalité pose aussi la question du développement de ce qu’on appelle parfois les compétences transverses, ou comportementales.
  • D’un point de vue étudiant, les questions d’intérêt, de motivation, d’engagement, et sans doute de capacité d’organisation, d’auto-régulation mériteront sans doute un focus particulier ;
  • D’un point de vue de nos institutions, le maintien, ou le développement des formations sera central, ainsi que l’investissement temporel et le développement de nouvelles pratiques par le personnel, qu’il soit enseignant ou non.
  • D’un point de vue organisationnel, la fiabilité des outils, le support proposé, le pilotage organisationnel et les recommandations proposées seront également à interroger.

Mais ces questionnements classiques en situation classique, sont sans doute insuffisants dans un cadre de changement important comme celui-ci. Les auteurs proposent donc d’autres questions, en s’appuyant sur le modèle CIPP (Contexte, Entrées ou Contribution, Processus, Produit) (merci à deepl pour la traduction des questions suivantes)  :

  • Étant donné la nécessité de passer à l’enseignement à distance, quelles ressources internes et externes ont été nécessaires pour soutenir cette transition ? Quels aspects du contexte (institutionnel, social, gouvernemental) ont eu une incidence sur la faisabilité et l’efficacité de la transition ? (contexte)
  • Comment les interactions de l’université avec les étudiants, les familles, le personnel et les parties prenantes locales et gouvernementales ont-elles influencé la perception de la réactivité au passage à l’EDSU ? (contexte)
  • L’infrastructure technologique était-elle suffisante pour répondre aux besoins de l’EDSU ? (entrée)
  • Le personnel de soutien du campus disposait-il de capacités suffisantes pour répondre aux besoins de l’EDSU ? (contribution)
  • La capacité de développement professionnel continu de notre personnel était-il suffisant pour permettre l’EDSU ? Comment pouvons-nous améliorer les possibilités de répondre aux demandes d’apprentissage immédiates et flexibles liées à des approches alternatives de l’enseignement et de l’apprentissage ? (contribution)
  • Dans quels domaines les enseignants, les étudiants, le personnel de soutien et les administrateurs ont-ils le plus de difficultés avec l’EDSU ? Comment pouvons-nous adapter nos processus pour répondre à de tels défis opérationnels à l’avenir ? (processus)
  • Quels ont été les résultats programmatiques de l’initiative EDSU (c’est-à-dire les taux d’achèvement des cours, les analyses des notes cumulées, etc.) Comment les défis liés à ces résultats peuvent-ils être relevés pour aider les étudiants et le corps enseignant touchés par ces questions ? (produit)
  • Comment le retour d’information des apprenants, des professeurs et des équipes de soutien des campus peut-il éclairer les besoins de l’EDSU à l’avenir ? (produit)

La recommandation proposée par les auteurs est de s’intéresser plus particulièrement aux entrées/contributions et au processus car ces aspects mettent en avant les éléments les plus critiques (il cite ici encore l’évaluation des étudiants, au travers d’un changement de notation mis en œuvre dans certains établissements). La question pour les institutions est donc fondamentalement leur capacité à gérer des crises plutôt que de valider si l’enseignement s’est bien déroulé.

J’ajouterai sur cet aspect de l’évolution de l’institution, qu’en France au moins, nous prenons conscience que ces situations d’exception deviennent récurrentes. Les universités ont déjà subi plusieurs fois des difficultés à organiser leurs enseignements et leurs évaluations du fait de mouvements sociaux (pour faire vite). Si la crise qui se dessine est aussi dévastatrice qu’on peut le prévoir, ce seront les questions des stages, du premier emploi, et/ou de l’engagement citoyen et professionnel des étudiants qui se poseront sans doute de manière aiguë.

Au delà de ces questions très institutionnelles, d’autres questions pourraient également être abordées. En écoutant des témoignages et en discutant avec des collègues, nous voyons apparaître des dimensions plus en lien avec les transitions (écologique, sociétale, numérique).

  • La question des relations entre enseignants et étudiants. D’abord une empathie rendue possible pas la crise, ensuite la meilleure prise en compte des contraintes et solutions qui deviennent partagées. C’est aussi cela un campus en crise.
  • La question de la résilience, et des capacités d’adaptation de chacun. Au delà des apprentissages classiques, tant les enseignants que les étudiants doivent apprendre à vivre et à gérer un contexte difficile, des contraintes importantes et à rechercher de solutions pragmatiques et créatives.
  • La question des valeurs. Dans ces temps de crise, la notion de communs prend un sens plus aigu, et s’avère précieux pour développer des solutions efficaces. Il en a été beaucoup question sur les aspects recherche, sur les aspects culture. Comment l’enseignement supérieur, qui se positionne au croisement de la recherche et de la culture, pourrait ne pas être impacté ? Comment se développent les aspects de partage, de coopération, aussi dans le cadre de la formation.
  • La question de l’après, en tenant compte que cette crise est une étape de la « mutation écologique durable et irréversible », que Bruno Latour nous propose d’aborder avec un « exercice pour préparer l’après crise sanitaire pour être sûr que tout ne reprenne pas comme avant »

En conclusion, évaluer cette période dans l’enseignement supérieur devrait s’articuler au moins sur ces trois axes principaux :

  • Les difficultés, et les innovations produites pour répondre à la crise, d’un point de vue enseignement, et incidemment l’évolution professionnelle des enseignants (et des étudiants) ;
  • La capacité des institutions à gérer des crises, pour mieux se préparer à la suivante ;
  • L’inscription dans une mutation qui ne fait que débuter en intégrant la question des valeurs.

 

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Crédit photo : Tugboats_14 par Timothy Vogel – licence CC-by-nc

JIPES 2020, quelques réflexions sur « l’approche par compétences, un levier pour la transformation pédagogique »

J’étais invité aux Journées nationales de l’Innovation Pédagogique dans l’Enseignement Supérieur, pour animer un atelier sur l’évaluation des compétences, au travers de l’expérience acquise dans mon établissement. C’était ma première participation à ces journées organisées par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. J’ai été très impressionné par cet événement qui regroupe lus de 800 personnes sur 2 journées, et qui visait à couvrir les différents aspects de l’approche par compétences, du point de vue institutionnel à la mise en œuvre, en passant par la recherche, les ressources humaines, et les questions liées à la professionnalisation. Pour compléter ces journées, deux temps étaient dédiés à la valorisation de réalisations ayant reçu des prix (PEPS) ou des financements (Idefi).

Immanquablement, cette couverture, pour informative qu’elle soit, a eu quelques impacts sur le message passé.

  • En préalable je m’étonne toujours de l’ampleur du mouvement quand le système complet se met en ordre de marche sur un tel sujet. Si ces journées ont fait largement appel à des retours d’expériences de structures plus agiles, il est clair que la généralisation est enclenchée.
  • Ensuite, il est clair que chaque élément de la structure a son propre niveau de compréhension, et son propre agenda, ce qui est source de difficultés pour la compréhension et la mobilisation des différents acteurs. Ainsi la définition affichée de la compétence est celle proposée par Jacques Tardif, qui est très intégrée aux situations, alors que les référentiels publiés développent des listes beaucoup plus éclatées.
    Autre exemple, lorsque l’on pose la question de la transformation pédagogique aux ressources humaines, les préoccupations présentées se reportent sur la vision officielle de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, sur un processus d’embauche plus ambitieux et sur les fameux contrats de projet, loin de la nécessaire mobilisation d’énergies pour un tel chantier.
  • Le manque de débat contradictoire, impossible à mettre en place dans un tel événement institutionnel de cette dimension, provoque ainsi des frustrations chez les participants qui ne permettent sans doute pas de porter le message de manière efficace (je présente, mais apprennent-ils pour paraphraser Saint-Onge)
  • Les retours d’expérience présentés en plénière, eux-aussi brouillent le message. Les éclairages de situation de terrain présentés en début de jeudi après midi auraient eux aussi mérités d’être rediscutés pour une mise en perspective, tant les présupposés de chacun sont différents.
  • J’ai reçu aujourd’hui une attestation de participation au travers d’un OpenBadge. C’est sympathique. Cela me renvoie à la dynamique des Badges. Mais pour ceux qui n’ont jamais entendu parler de ce concept, qu’en est-il ? Peut-être aurait-il été intéressant d’en parler, par exemple en prenant le temps d’évoquer les différents sujets des ateliers.
  • Durant ces ateliers, disciplinaires le jeudi (pour mieux cerner la mise en œuvre des compétences) et sur les pratiques en faveur de l’approche par compétences le vendredi, de nombreux sujets ont été évoqués, mais les participants n’en auront recueilli qu’un infime partie. Et ce d’autant que la nécessaire appropriation de l’approche a souvent pris le pas sur les objectifs des ateliers. Une synthèse devrait être produite, Il sera sans doute intéressant de la consulter, et peut être de prévoir un dispositif d’appropriation permettant de participer à plusieurs ateliers.
  • Par contre, les supports de plénière ont été mis en ligne. Sur la journée de jeudi, retenons que Philippe Lalle a pris le temps de nous faire un bref historique institutionnel du concept au niveau européen et français. François Georges a introduit les éléments conceptuels de l’évaluation des compétences en début d’après midi.

Bref, ces nombreux messages illustrent que l’institution est bien en mouvement, mais que ce mouvement s’accompagne d’une réflexion en cours, non finalisée, d’une appropriation progressive qui mettra du temps pour être mise en place dans toutes les structures avant de finalement s’harmoniser. La diversité des points de vue, la nécessaire contextualisation, l’évolution constante de la compréhension des objectifs sociétaux et économiques démontrent que l’approche par compétences est d’abord un processus évolutif, itératif et qui s’inscrit donc dans la durée. C’est en tout cas le message principal qui ressort des ateliers.

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Badgeons dans les Fablabs

L’idée de reconnaître des savoirs, savoir-faire, compétences… au travers de badges n’est pas nouvelle, on peut penser même au mouvement scout. La notion des brevets développée dans le livre de Michel Authier et Pierre Lévy « les arbres de connaissances » qui permet à chacun de définir un savoir et de le partager pour construire un arbre de connaissances est particulièrement inspirante. En 2011, Mozilla a lancé une initiative, les Open-Badges qui ont permis de remettre ces idées au goût du jour numérique. Nous en avons parlé plusieurs fois dans ce blog, et plus particulièrement il y a deux ans à l’occasion du Forum des Usages Coopératifs, pour parler de la venue de plusieurs acteurs de ce mouvement. Depuis, le mouvement a prospéré.  L’éducation nationale regarde. Après Badgeons la Normandie, ce sont les Pays de la Loire qui s’y sont mis, pour dynamiser leurs territoires autour des secteurs de l’éducation et de la formation, de l’insertion sociale et de l’emploi au service de la construction d’un territoire apprenant.

En Bretagne, cela bouge aussi. La semaine prochaine une après midi pour parler de badges, suivie d’une conférence-débat sur le sujet est organisée à Brest.

Les Fablabs ont plusieurs enjeux autour de la question des badges. Le premier, en tant que tiers-lieux inscrit dans les territoires, est aussi la question de la dynamique d’un territoire apprenant. Le second, plus spécifique, est de reconnaître les savoirs spécifiques des fablabs, notamment pour permettre l’accès aux machines qui y sont hébergées, en reconnaissant ceux qui en ont la maîtrise. C’est ainsi une démarche de co-construction de la sécurité dans ces lieux, de diffusion des savoir-faire proposés et d’incitation à la rencontre. Les badges proposés par la Casemate à Grenoble rentrent dans cette tendance.

4203541703_8567628374_o_dAu delà de cette démarche propre se pose également la reconnaissance de la dimension éducative des fablabs. On peut imaginer que la communauté d’un fablab propose un ou plusieurs badges complémentaires qui lui semblent pertinents, et qui contribuent à la diffusions des savoirs de makers. Je me suis intéressé à un article dont on pourrait traduire le titre de la manière suivante : « principes fondateurs et pratiques pour évaluer l’éducation par le faire ». Tout d’abord ils citent un auteur, Alfie Kohn qui met en garde sur le fait qu’évaluer un sujet le rend moins engageant, pousse à choisir le chemin le plus facile pour réussir, et réduit la qualité de la réflexion de l’étudiant. C’est ce qu’on constate souvent dans l’enseignement, y compris dans les enseignements par projets. Malgré tout, il reste possible d’envisager une évaluation, que d’aucuns qualifieraient d’authentique, en laissant l’initiative autant que possible aux étudiants, en leur proposant un cadre suffisamment flexible pour qu’il puissent se l’approprier, le compléter, et ne pas se sentir contrôlés (éviter les checklists imposées), en permettant aux enseignants de se positionner aussi comme apprenant, en organisant l’espace pour porter les valeurs visées. L’évaluation, voulue ouverte en proposant des rubriques suffisamment larges, porte à la fois sur le produit proposé, les connaissances qui s’y rapportent, et le processus qui a permis sa réalisation. Il est souhaitable d’encourager les étudiants à documenter leur parcours (idée de portfolio de réalisation), de réfléchir à leurs pratiques (en se projetant, …). La mise en place de badges est ici aussi envisagée, pour donner les clés d’accès aux machines, mais aussi pour proposer des moyens de mettre en avant des savoirs-faire complémentaires. Bref, de la culture Maker ouverte à la pédagogie par projets, il n’y a qu’une différence de contexte, de valeurs portées. La question reste toujours de faire sens auprès de ceux qui s’engagent, les apprenants, et de ne pas dénaturer la nature de la pratique en l’institutionnalisant.

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En effet, un cadre privilégié des badges ouverts reste bien celui de la dynamique de communautés. C’est en tout cas ce qui retient l’attention des acteurs qui les mettent en oeuvre. La Normandie a ouvert la voie, avec entre autres le Dôme, qui cherche à diffuser les pratiques sur le territoire.  Dans quelle mesure, les différentes pratiques possibles des badges ouverts peuvent elles être combinées ?

En tout cas, les badges ouverts seront un des sujets centraux du forum des usages coopératifs 2020, du 7 au 10 juillet à Brest. 

Dans les commentaires reçus ce week end, @FABULISbox me rappelle sur Twitter que l’on parle de ce sujet sur @TiersLieuxEdu, un réseau au nom explicite, et que les fablabs avancent également sur le sujet (commentaire lié à ce billet).

 

Crédit photo : My Nerd Merit Badges arrived by doctyper licence CC-by-sa

Whats a badge really worth by Bryan Mathers licence CC-by-nd

Repenser la pédagogie – explorer le potentiel de la technologie numérique pour une éducation de qualité

Lecture. Le Mahatma Gandhi Institute of Education for Peace and Sustainable Development (MGIEP) nous nous propose sous le label de l’Unesco un foisonnant rapport sur le numérique et la pédagogie (Rethinking pedagogy – exploring the potential of digital technology in achieving quality education) dans le cadre de l’objectif 4.7 de développement durable, à savoir une éducation visant la paix, le développement durable et une citoyenneté globale. Je fais ici une synthèse, compacte. Chaque point mériterait un développement, ce qui est fait dans le rapport avec exemples et références, mais qui dépassent le cadre de ce résumé. De mon point de vue, au moins deux axes de lectures en sont possibles, ce qui est en ligne avec les approches de recherche sur les Environnements d’apprentissage (EIAH).

La première lecture est de considérer les conditions pour la mise en place d’une telle éducation. Tout d’abord, les auteurs rappellent la place centrale des manuels dans l’éducation, en tant qu’éléments structurants des connaissances et les évolutions de ceux-ci rendus possibles par le développement du numérique, à savoir notamment les possibilités de remixage qui permettent leur évolution, leur adaptation au contexte local et le développement d’une culture de la participation. Les auteurs se positionnent ensuite sur le débat entre pédagogie et technologie, ils insistent sur le fait que c’est la pédagogie qui doit guider les choix technologiques et non le contraire. Dans le cadre d’objectifs d’apprentissage et de vivre ensemble, la dimension sociale de l’apprentissage, de participation et de collaboration, est ici mise en avant. Le troisième message clé est l’évolution de la place de l’enseignant. Son rôle est souvent éludé lorsque l’on parle de numérique. Il est ici remis au centre, à la fois pour le bon fonctionnement de la classe et de sa pédagogie, mais aussi comme contributeur de l’évolution des ressources pédagogiques dans une logique de communauté de pratique entre enseignants.

Les recommandations du rapport concernant l’enseignant visent à faire reconnaître le caractère collectif du travail de l’enseignant dans ce cadre d’évolution des pratiques. Elles mettent en avant le besoin d’appropriation par l’enseignant des nouvelles ressources et des nouvelles pratiques pour une meilleure efficacité, donc une meilleure réussite des apprentissages. Son rôle intègre donc des aspects de conception, d’animation, de retours vers les élèves, d’analyse réflexive (avec une dimension d’utilisation des outils d’analyse de données et des tableaux de bord associés). Il est membre de groupes locaux, de communautés plus larges, et animateur du groupe élèves. Il est ainsi le garant du déploiement pertinent des technologies numériques dans une perspective de développement durable.

Les technologies numériques ne s’imposent donc pas d’elles-mêmes mais de nombreuses conditions sont ainsi évoquées tout au long de ce rapport. Et c’est un deuxième axe de lecture, à savoir la caractérisation de ce que le numérique doit offrir pour permettre le développement de pédagogies en phase avec les objectifs de développement durable. Comme premier point pour poursuivre sur la place de l’enseignant, notons la nécessité de développer une « science de l’implémentation » qui doit permettre de faire le lien entre résultats de recherche et pratique effective, sur le modèle de ce qui se fait en médecine (p. 62).

8A Affordances ModelComme second point, l’idée que les technologies numériques doivent pouvoir être adaptées au contexte local de ses usages, complétées pour intégrer l’abondance des ressources existantes, et permettre la participation des enseignants et des apprenants. Il s’agit de réconcilier contenu et pédagogie d’une part, acquisition et participation d’autre part. Les auteurs nous proposent un cadre des 8 A (pour Affordance) pour considérer les potentialités des ressources et technologies numériques : apprentissage ubiquitaire, construction active des connaissances, multi-modalité, feedback régulier, intelligence collaborative, apprentissage différencié, métacognition, accessibilité. L’analyse du numérique selon son cadre doit permettre d’identifier les potentialités des ressources numériques mises à disposition des enseignants et des apprenants.

Troisième point, les compétences à développer sont celles d’une culture de la participation, tant pour les apprenants que pour les enseignants (le modèle TPACK est repris ici pour les enseignants).

Par ailleurs, les points de l’équité et de l’inclusion sont régulièrement évoqués au long de ce rapport, tant pour les questions de langues, de diversité culturelles et sociales, en intégrant la notion de fracture numérique (digital divide). La richesse de la gestion de la connaissance en tant que communs est ainsi soulignée (pour voir ce qu’il est possible de faire en utilisant ce cadre, n’hésitez pas à lire l’excellent livre « À l’école du partage : les communs dans l’enseignement » d’Hélène Mulot et de Marion Carbillet). L’expérimentation décrite dans l’encart 4-5 p. 74 démontre qu’un accompagnement simple d’apprenants de pays en développement en les invitant à exprimer leurs attentes peut améliorer leur sentiment d’appartenance et ainsi leur persistance dans des dispositifs tels que des MOOC.

Ce rapport apporte donc une compilation de constats, d’analyses et de recommandations qui visent l’accompagnement de systèmes éducatifs permettant d’atteindre les objectifs de développement durables de l’Unesco, mais aussi de donner une direction au développement de supports numériques permettant de soutenir ce mouvement éducatif, et d’encourager un développement professionnel élargi des enseignants.

Compléments :

  1. Dans le rapport, l’étude de l’influence du système éducatif en place dans un pays influence le développement des ressources et des opportunités proposées aux enseignants. Un message clé est que ces systèmes doivent prendre en considération les éléments précisés dans cette synthèse
  2. le laboratoire EDA de Paris Descartes, qui a participé à l’écriture de ce rapport a mis en ligne une page de références utiles en français sur les manuels et les collectifs associés.

Crédit images : celles-ci sont extraites du rapport publié selon la licence CC-by-nc-sa

Êtes vous plutôt littératie numérique ou compétences numériques ?

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D’aucuns pourraient penser qu’il s’agit de la même chose, mais au fait de quelle « chose » parle-t-on ? Un article de 2018 « Digital competence and digital literacy in higher education research: Systematic review of concept use » se pose la question de quelles définitions sont retenues dans la littérature. Il en ressort différentes conclusions intéressantes.

D’après cette revue systématique de littérature, un certain nombre de publications ne se donnent même pas la peine de définir le concept, ce qui est étonnant pour un article scientifique. Notre article s’intéresse à voir si le concept est plutôt défini à partir d’autres articles de recherche ou à partir de documents « politiques » (policy … notamment européens). Il s’avère que la définition de la littératie numérique s’appuie plutôt sur d’autres travaux de recherche, et que la notion de compétence numérique est plus systématiquement adossée aux documents politiques. L’article montre également que la littératie numérique est plus souvent utilisée en Angleterre, aux États-Unis et en Asie, dans les disciplines de la santé et des arts, et s’intéresse plus particulièrement aux changements de pratiques et didactiques et au développement du système éducatif. La notion de compétence numérique, quant à elle, est plutôt développée en Europe continentale et en Amérique du Sud, dans les disciplines d’éducation des enseignants et d’économie, et s’intéresse au développement des compétences des étudiants et du personnel enseignant.

Littératie numérique

Compétences numériques

Région principales Angleterre, États-Unis, Asie Europe continentale, Amérique du Sud
Disciplines principales Santé, Arts Éducation des enseignants, Économie
But principal Changements de pratiques et didactiques, développement du système éducatif Développement des compétences des étudiants et du personnel enseignant

Reste à se poser la question de la définition des 2 concepts. Logiquement, le concept de littératie numérique s’est affiné au cours des travaux des chercheurs et recouvre potentiellement plusieurs dimensions :

  • La dimension fonctionnelle, à savoir trouver, analyser, manipuler, produire, partager de l’information. On est ici proche des capacités d’usages technologiques ;
  • La dimension esprit critique apparaît pour contrebalancer l’aspect technologique des premières définition, pour intégrer les aspects cognitifs liés à la gestion d’informations, et pour prendre en compte l’intégration d’un but ou d’une valeur ajoutée comme la créativité ;
  • La dimension sociale et collaborative, qui reconnaît l’évolution des pratiques et des manières de travailler en ligne. On peut aussi y intégrer la construction de nouvelles connaissances, de nouveaux modes d’expression, d’action sociale et de communauté.

Dans cette dernière dimension, il y a d’une part les activités collaboratives (au sens disons échange et travail dans un groupe) et une dimension de l’émergence, au travers de communauté et/ou de société qui sont des éléments avérés et documentés.

Du coté des compétences numériques, on s’intéresse plutôt aux deux premières dimensions, en les intégrant avec un dimension réflexive pour les enseignants, ou en insistant sur la capacité à apprendre, travailler, vivre dans une société numérique, et donc au-delà de la capacité de développer une sensibilité et une attitude à utiliser le numérique, pour pouvoir atteindre des buts et prendre des décisions informées. Le lecteur intéressé pourra consulter l’article cité pour les définitions détaillées.

Pour finir, je suis toujours un peu étonné de ne pas avoir de liste de types d’informations qu’un citoyen, qu’un étudiant ou qu’un enseignant puisse être amené chercher, visualiser, analyser mais aussi manipuler, réutiliser, remixer. On parle souvent des droits et devoirs associés, mais on s’intéresse moins souvent à la nature des informations. Le texte est une évidence, ainsi que les média classiques (son, image, vidéo) bien que souvent moins couramment utilisés (au moins dans un contexte scolaire). Il faudrait donc encourager la création de sons, d’images, de vidéos. Dans le cadre éducatif, il y a souvent une volonté de manipuler des bases d’informations plus spécialisées que les moteurs de recherche par défaut, mais cela n’est finalement qu’une recherche. Par contre, nous voyons apparaître de plus en plus souvent la question de données brutes qu’il faut savoir interpréter (sur le modèle des décodeurs – et de bien d’autres). Sans faire de la science des données, on peut se poser la question s’il ne faudrait pas ajouter dans les dimensions fonctionnelles la maîtrise de logiciels d’analyse de données, au-delà du simple tableur il y a nombre d’outils sur le Web. En tout cas cela entre dans le cadre des humanités numériques. Le périmètre fonctionnel des types de données est un périmètre qui s’élargit à chaque nouvelle génération d’usages grands publics.

Le prochain élargissement sera peut être l’initialisation et l’entraînement d’une intelligence artificielle.

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